concert

Adagio et/und Allegro

Un récital pour cor(s) et piano

Ils habitent à présent en Savoie, mais ils sont tous les deux originaires de l’Alsace. Et c’est tout leur concert qui est un hommage à l’Alsace : non seulement parce que cette région ne manque pas de bois où faire entendre le son vespéral du cor si cher à Vigny et à Verlaine1, mais aussi parce qu’en cette matière comme en d’autres, l’Alsace se présente comme une terre de transition entre deux pays qui ont toujours cultivé des traditions très différentes – comme nous le rappelle le « und/et » du titre, emprunté aux émissions de la chaîne culturelle de télévision franco-allemande ARTE.

Pour les cuivres, le XIXe siècle est marqué par l’invention du piston en 1813. Une invention allemande signée Leopold Uhlmann, qui permit aux cornistes de Johann Strauss de faire grande impression à Berlin en 1835, et qui est encore à l’honneur au sein de la Philharmonique de Vienne. Le Franz Strauss du programme n’est pourtant pas de la famille de Johann : c’est le père de Richard, qui était certainement le meilleur corniste de sa génération, et à qui son fils dédia le premier (1883) de ses deux concertos pour cor. Quant à Schumann, il composa son op.70 (1849) précisément sous le charme des fameux cors viennois à trois pistons d’Uhlmann, qui commençaient à se répandre dans toute l’Allemagne. Mais ce système laissa de marbre les Français, qui préférèrent rester fidèles aux cors « naturels » (sans pistons), considérés comme plus riches en couleur sonore – de tout temps une priorité française. Membre du sextuor Alfred de Vigny attaché à faire revivre cette école française romantique de cor, Matthieu Siegrist jouera en seconde partie des chefs d’œuvre du répertoire français pour cor et piano : romance de Saint-Saëns et Villanelle de Dukas

Emprunté à l’op.70 de Schumann, le titre en binôme de ce concert fait apparaitre le double potentiel du cor romantique : expression poétique et recueillie du nocturne ou de la romance dans l’« adagio » ; puis virtuosité des traits, des arpèges, des notes répétées, et des contrastes entre échos feutrés et sonneries éclatantes dans l’« allegro ». Une autre dualité se manifeste dans l’alternance des pièces pour cor avec des pièces pour piano seul, car si le pianiste est par essence infatigable ( !), le corniste doit ménager son souffle et ses lèvres : au « Langsam, mit innigem Ausdruck » de Schumann répond l’« Andante non troppo e con molto espressione » de l’intermezzo de Brahms – un compositeur qui aimait aussi beaucoup le cor pour en avoir joué dans sa jeunesse ; et au Nocturne avec cor de Strauss répond le Nocturne sans cor de Fauré. Reste la dualité des époques : en effet, en écho aux contributions de Robert et Clara unis en 1840, vous entendrez des œuvres de Ludovic et d’Hélène unis en 2005.

Le point central où se croisent et où se neutralisent toutes ces dualités est représenté par Jean-Jacques Werner : un musicien qui est cordes et vent à lui tout seul puisqu’il fut à la fois harpiste et corniste ; qui est alsacien au passé et au présent puisqu’après une carrière nationale (voire internationale) il revint dans le Bas-Rhin de sa naissance pour s’installer à Barr ( !); et qui comme compositeur est à cheval sur deux siècles puisqu’on entendra bientôt (à l’automne 2017) son quatrième opéra (Luther ou le Mendiant de la grâce), alors qu’il a écrit ces Trois inventions pour cor et piano en 1961…